Stéphanie SAGOT
Terre amoureuse – Larzac
du 28 juin au 29 septembre
Sur le plateau du Larzac, en 1971, 103 paysans se soulèvent contre l’extension du camp militaire. Territoire d’inventions fertiles, de luttes douces et de désobéissance civique contre les dominations qui éprouvent la vie, parmi lesquelles notamment les conflits armés, le nucléaire, l’artificialisation et l’appropriation des terres, l’agriculture intensive entravant la santé des vivant.es, des sols, des airs, des rivières, des océans…
Le Larzac incarne depuis lors la convergence des luttes contre l’arbitraire politique, comme en témoigne le dernier rassemblement, Les Résistantes, en 2023.
Après avoir mené un travail de recherche iconographique et textuel aux archives de Millau, réalisé des entretiens avec les acteurs et actrices de ces résistances, arpenté ces lieux dans le silence et le calme de celles et ceux, de toutes espèces, qui les peuplent, j’ai créé deux œuvres, l’une visuelle et l’autre sonore, en cherchant à restituer ces actes ainsi que les émotions ressenties.
La première est une grande aquarelle sur papier, Terre amoureuse, Gardarem Lo Larzac. La pluralité de ces récits et impressions se relient dans une composition qui fait référence à un triptyque de Jérôme Bosch intitulé Le Chariot de foin réalisé vers 1510-1515, d’orientation eschatologique (étude de la fin du monde et de l’humanité). Cette peinture évoque l’être humain qui perd ses biens sur le chemin de la vie, par négligence. Dans cette allégorie encadrée par les éléments essentiels de la Création et une représentation de l’Enfer, la signification symbolique de l’énorme botte de foin centrale renvoie à des notions de gloire et de domination ostensiblement montrées et qui m’ont semblées intéressantes à réengager aujourd’hui.
Dans cette peinture, sur la partie droite, une transhumance de brebis, tandis que sur la partie gauche, les symboles du camp militaire côtoient des images extraites de portraits officiels de représentants du gouvernement pendant la révolte des agriculteurs et agricultrices de ce début d’année 2024 : le premier ministre promettant de simplifier les normes dans une ferme avec pour pupitre une botte de foin ou encore le ministre de l’Agriculture et de la souveraineté alimentaire posant dans une posture m’évoquant une madone dans un élevage industriel de porcs du Finistère.
Au centre, la nature qui se défend avec les résistants et résistantes du Larzac, à travers les époques, au pied d’une énorme botte de foin. Ça et là, de nombreux symboles et paroles documentent ces luttes.
Cette aquarelle est accompagnée d’une pièce sonore, la lecture que je fais d’une lettre découverte aux archives, qui m’est apparue si belle et si actuelle : la ligue des paysan.es de Sanrizuka et de Shibayama opposé.es à l’aéroport Narita au Japon écrit à leurs ami.es de lutte, les paysan.nes du Larzac, le 1er aôut 1985, pour témoigner de leur amitié et de leur désir commun de « faire respecter le droit à la vie » et à militer contre les conflits armés.
Ce travail s’intègre dans ma série des Terres amoureuses entamée en 2023 qui documente des engagements de celles et ceux qui, par l’art ou les luttes douces, prennent soin de la terre. Je reprends ici un des sens anciens du mot Amour qui définit une terre fertile vers 1200. En 1805 apparaît l’expression Terre amoureuse en technique agricole pour désigner une terre bien ameublie et rendue fertile. Elle disparaît des dictionnaires en 1928, alors même que l’agriculture intensive prend son essor. « Terre amoureuse » est pour moi une manière de situer la création comme une écologie politique évoquant un monde qui se réforme, se fertilise et dont les lieux sont constitués de la matérialisation des sentiments. Parcourir, rencontrer et cartographier est ainsi une invitation à embrasser le monde en conscience de notre condition terreuse et à engager une pratique de la relation.
Je remercie sincèrement toutes celles et ceux qui m’ont invitée, accompagnée, aidée, accueillie et ouvert si généreusement leurs portes ces derniers mois : les artistes de la VRAC et particulièrement Stéphane Got et Marie Demy, Sara Melki, José Bové, Nanda Gonzague, Marie-Line Sanchez, les archivistes de la ville de Millau, et toutes celles et ceux qui résistent pour que la vie soit plus douce, plus juste sur ce beau plateau du Larzac et ailleurs…
Œuvres présentées :
Terre Amoureuse, Gardarem lo Larzac. Aquarelle sur papier, 240 cm x 150 cm, 2024
Lettre aux Paysans du Larzac par la ligue des paysans de Sanrizuka. Son, 3 min., 2024